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16.11.12

Version originale russe : Vladimir Kozlov, 1986

V. Kozlov, et notre breuvage favori

1986, avant-dernier roman (non traduit en français) de Vladimir Kozlov (Voir, en français, Racailles, et, Retour à la case départ, éditions Moisson Rouge):
I986, (éditions, Fluid Free Fly, Moscou, 2012, collection, « romans russes pour l’Europe »), polar pur jus de Vladimir Kozlov, colle aux canons du genre : il s’agit des investigations sur viols et meurtres en série dans l’URSS crépusculaire de la pérestroïka, menées par deux enquêteurs, Youri et Sergueï, de la Prokouratoura au cœur d’une zone industrielle interlope de Biélorussie. S’agit-il d’une ville ?… Oui, elle a un centre, où les néo-nazis de Moscou viennent « fêter » la naissance d’Adolf Hitler, réjouissances impossibles dans la capitale de toutes les Russies où les kaguébistes auraient vite mis un terme au sacrilège. La cérémonie se termine du reste en échauffourée, en rixe sauvage. Youri, le plus jeune, le moins expérimenté des enquêteurs, y prend part, knock-outant un ou deux fervents du 3e Reich, non sans écoper lui-même d’un mauvais coup au passage qui l’étend pour le compte.


         … Mais c’est aux lisières de ce trou de province oublié de l’empire que des collégiennes sont agressées au coin d’un bois, entre une usine chimique qui déverse ses poisons chimiques dans le Dniepr, et un camp de tziganes près de la voie ferrée où l’on trafique à tout-va les marchandises prohibées dans l’univers soviet : jeans, disques, pièces détachées, chewing-gum, contrefaçon des grandes marques de vêtements occidentales. Le Dniepr si pollué que les habitants de ce trou d’enfer ne se baignent que d’un seul côté du fleuve. Les tziganes au trafic si florissant, que leurs voitures rutilent et font baver d’envie nos enquêteurs. Dont l’enquête piétine, exilée dans un secteur sinistre et sans loi, où règnent sauvagerie et brutalité sous les slogans triomphalistes gorbatcheviens placardés au milieu de nulle part : La Pérestroïka est une nécessité impérative surgie des profondeurs du processus de développement de la société socialiste !  Les suspects se suivent sans se ressembler forcément, des collégiens anti-sociaux, des chauffeurs-livreurs qui détournent la marchandise de leurs usines, le directeur de l’école, intouchable, car membre du parti depuis trente ans, plusieurs fois décoré pour ses états de services pédagogiques et vétéran du travail… Si Sergueï est décidé à obtenir une promotion grâce à des aveux arrachés aux suspects coûte que coûte, par exemple au moyen d’une bonne vieille trempe, Youri de son côté semble sujet aux états d’âme, revenu dans sa ville de province on ne sait trop pourquoi, alors qu’il a fait ses études à Minsk et que sa copine était fille du procureur et lui proposait un coup de pouce… 

Comme si la chape de plomb de la zone l’ensorcelait de son charme sinistre, de sa tristesse cul-de-sac. Youri est fan de heavy-metal, mordu de tous les groupes interdits d’antenne, Deep Purple, Led Zeppelin, Black Sabbath, et il fréquente les concerts semi-clandestins de leurs imitateurs locaux, souvent ses amis d’enfance. Et la poursuite désespérée de l’insaisissable assassin participe au lent dérèglement de tous ses nerfs, à l’heure où la catastrophe de Tchernobyl dépose une couche supplémentaire d’épouvante à la déchéance et au racisme d’une société qui pourrit. Mais celle-ci est au fond si ordinaire, que la menace radioactive ébranle à peine la forteresse d’indifférence résignée de tout un chacun, sauf chez quelques commères. Dans ce printemps atroce, Youri entame une liaison avec une ex-condisciple d’une des victimes.
         Vladimir Kozlov a raconté dans une interview récente qu’il était retourné aux sources du « noir » pour construire ce roman, l’Amérique de la Grande Dépression et le roman hard-boiled des pères fondateurs du genre — peut-être pour sortir de son minimalisme punk, ou plutôt le métamorphoser en classicisme polar. De même, il a évoqué la nécessité de revenir sur le crépuscule des dieux soviets, dont il est, au fil des années, et avec un remarquable sens du détail partout présent dans 1986, un archéologue minutieux. Au fait, la Russie d’aujourd’hui sort de là !… Et sa classe dominante !…



         Chez les enquêteurs de 1986, l’auteur a acclimaté le désabusement des flics tordus ou justiciers cyniques d’Amérique dans l’univers soviet en tous points aussi cruel. Spécificité locale, ils mènent l’enquête et instruisent l’affaire tout à la fois. En Russie, jusqu’au jour d’aujourd’hui, l’instruction d’une affaire est menée par l’accusation, ce qui a fait bramer le chœur des vertus d’Union Européenne plus d’une fois, au nom de l’État de droit.
         Au-delà des particularités « folkloriques » ou « rétro », tout se passe, néanmoins, comme si Vladimir Kozlov avait écrit un antipolar, forme non pas contemporaine, mais hypercontemporaine, du style noir : sous ses faux airs de céder à "l'enquêtisme" dominant chez les crétins du polar… un superbe roman aux couleurs d’agonie collectiviste sur l’impossibilité de conclure.





        
Extraits de la Post-Face de 1986 de Youlia Tchtcherbinine, intitulée : Autobiographie de la réalité.
« Certains lecteurs sont captivés par l’authenticité et la netteté des contours de la vie courante des textes de Kozlov, sa capacité à saisir les détails quotidiens ; d’autres par la véracité et le caractère sans merci de ce reflet du réel russe ; d’autres encore sont séduits par le naturel des comportements et la vivacité de la langue des personnages du romancier. »
« Cependant, il n’y a chez Kozlov aucun copiage littéral de la réalité. Tout est l’aboutissement d’un tri sévère et d’un filtre très précis. L’élimination de l’inutile, de la digression, tout ce qui  ‘troublerait l’image’. Expression maximum, sous une forme minimale. »
« Ce qu’il y a de plus effrayant dans les récits de Kozlov, ce n’est pas la violence elle-même mais la soumission à celle-ci, ou son acception cynique. La recherche de ses mécanismes comme quelque chose d’extérieur (dans les vices sociaux, les circonstances objectives, les difficultés de la vie) en lieu et place d’une reconnaissance honnête de la nature agressive de l’homme. Toute notre vie est faite de violence et de résistance à celle-ci. Ou bien de l’absence de résistance. Et cette dernière est bien la plus cauchemardesque. »