Volodyia Moyceev du club Narcotiques Anonymes de Kiev au ciné, jouant son rôle favori, le voyou enchristé. |
SANS LIMITES (БЕСПРЕДЕЛ)
Extrait du dictionnaire historico-étymologique, Русский жаргон (jargon russe), АСТ–ПРЕСС КНИГА 2008, Moscou.
(Traduit du russe par TM)
Ce mot
(Biesspredel, en transcription latine) est devenu de nos
jours un symbole de l’époque post-perestroïka. Il caractérise une société
absolument dépourvue de loi, de droit, et chaotique. Le mot Biesspredel
est entendu comme un terme nouveau « péjoratif » dans le
« Dictionnaire de la pérestroïka », avec une définition générale de
« quelque chose de négatif, n’ayant aucune limite ». Cependant, il
est employé depuis les années soixante dans l’argot de la jeunesse
(particulièrement chez les hippies, puis chez les punks) dans trois
significations distinctes : « hors-la-loi »,
« démesuré », «présence massive d’une foule de jeunes ». Comme
de nombreuses expressions de l’argot des jeunes, ce mot est originaire de la
langue de la pègre, où il avait cours depuis les années 1940-50 et signifiait
«groupe de criminels professionnels ne souscrivant pas aux habitudes, traditions et lois du
milieu ». Il est apparu dans l’argot à l’époque de « La guerre des
salopes » opposant les criminels de profession orthodoxes et ceux qui
voulaient adopter de nouvelles lois régissant le milieu (NDT — Cette guerre fit
rage dans les camps dans les années 40-50, entre les voyous ayant accepté de
servir dans les bataillons disciplinaires de l’armée de Staline contre les nazis
en échange d’une remise de peine, et ceux qui s’en tenaient à l’antique règle
Cour des Miracles : ne jamais servir l’état — et occasionna de nombreuses victimes) .
En argot, Biesspredel
désigne les sans-loi, mais pas dans
l’acception juridique officielle violant le code pénal, mais comme ceux qui ne
respectaient pas la loi non écrite — les normes de comportement de l’univers de
la pègre. C’est ainsi que le mot Biesspredel
et ses dérivés existaient depuis longtemps dans le vocabulaire du milieu —
Ancien « voleur selon la loi » (équivalent russe de la Cour des
Miracles) n’obéissant plus aux normes de comportement des criminels de
profession, voleur ne reconnaissant pas les lois du monde du vol, prisonnier
refusant de se soumettre aux normes en vigueur dans les camps. Cette catégorie de criminels se regroupait
parfois en bandes afin de s’opposer aux Voleurs
selon la loi ou « salopes ». Ce mot donna naissance à Biesspredelny
lioudi (Les gens sans limites) ou
« Hooligans », au verbe Biesspredelnitchat, signifiant « faire n’importe quoi, sortir des règles » et
jusqu’à Biesspredelnik, « collaborateur de la police criminelle ».
Dans les années 1980-90, Biesspredel
devint synonyme de " Criminel
ordinaire, taulard", et ensuite de « Hors-la-loi de haut vol ». À
présent, il a pris aussi le sens de « une quantité incroyable de quelque
chose ». L’antonyme V predeliakh
(transcription latine) s’applique à un criminel emprisonné ayant une autorité de caïd au sein de
son groupe.
Dans un sens général, non spécialisé
dans l’argot de la pègre, le mot Biesspredel s’emploie seulement dans les publications de l’époque de la
pérestroïka. V. B. Bykov l’a immortalisé dans un numéro du journal Soverchenno
Sekretno (Classé ultra-confidentiel en
transcription latine) :
« C'était en réalité Kalinine qui
dirigeait le Khozou MVD de l'URSS sous Chelokov (transcription
latine de la Direction générale des propriétés du ministère de l’Intérieur), selon l’opinion de nombreux de ses collègues, victimes du
Biesspredel (sans limites) de l’époque
d’Andropov ». Il s’agit là d’un des
premiers usages officialisés de ce mot. Et, comme nous le constatons elle est
ornée des couleurs « camp de concentration » qui ont facilité
intensivement l’argotisation de la langue russe. La plupart du temps le contexte
dans lequel ce mot est employé acquiert un sens négatif dans les conditions de
crise post pérestroïka, conservant ses liens avec les réalités des camps (…).
De tous ses dérivés, le plus actif
semble être l’expression Polnyi Biesspredel qui signifie « le chaos, l’absence totale de loi et de droit dans
la société », devenu l’appellation distinctive d’une période de l’histoire
de la Russie.