25.6.19

Penseurs incontournables

Correspondance avec un ami:

"Ayn Rand, cette hystérique d'origine russe qui s'envoyait les membres… de sa secte, est un exemple de la pseudo pensée manufacturée pour l'Amerlock et financée par le pétrole texan où les truismes s'amoncellent à flux tendu pour élever une sorte de tour de Babel accablante aux fondations suspectes mais aux conclusions définitives. En conséquence, c'est la Bible du con péremptoire, certain que son abrutissement est une infaillible boussole vers un monde meilleur. Sa popularité récente en France est un signe indubitable de la croissance tendancielle du crétinisme dans notre beau pays."

TM à JFM, 25-06-2019, Correspondance avec un éditeur de haut vol, tome IV.

11.6.19

Andreï Molodkine et Rasta Gang à Londres, 7 juin, Saatchi Gallery



 IN A FIRST OF ITS KIND COLLABORATION, RUSSIAN ARTIST ANDREI MOLODKIN TEAMS UP WITH UK DRILL MUSICIANS SKENGDO X AM AND DRILLMINISTER ON ‘THE MEDIA’ - A PROJECT TO INSPIRE YOUNG PEOPLE TO GIVE THEIR BLOOD TO ARTISTIC FREEDOM RATHER THAN SPILLING IT ON THE STREETS.


Nous ne tolérerons aucune incivilité.
         Les transgressions d’hier sont les conventions d’aujourd’hui. L’abolition de certaines discriminations en provoque de nouvelles. Le principe de la contrainte se contente de muer, la fin des turpitudes du pouvoir (certaines) ne signifie pas la fin du pouvoir de la turpitude. Dans le train vers Londres — dont la publicité sur écran semble tout droit sortie d’un manuel de vulgarisation anglo-saxonne des livres de Michel Foucault[1] — tout écart du langage marketing contemporain passant pour de l’amabilité alors qu’il n’exprime que du mépris peut entraîner des poursuites judiciaires. Le couperet est prêt à s’abattre, comme le souligne la voix suave d’une gérante de train multiculturelle, fière de son accent irréprochable dans la langue de Shakespeare, c’est notable à son intonation satisfaite. Comme dans l’Angleterre victorienne, mais à rebours, tout tempérament est relégué dans les abysses du refoulement mercantile — la magie psychotique du protestantisme qui nous donna Jack l’Éventreur[2]. Selon la formule moderne de l’Empire du Management : le pouvoir vous aime qui que vous soyez alors il vous a tous à l’œil. Tenez-vous le pour dit.
         Ce paradoxe a depuis longtemps perdu sa nouveauté ébouriffante, il est lassant de l’évoquer une fois encore — sauf qu’il est répété à chaque carrefour en catéchisme libérateur, retournant le couteau dans la plaie. Ce sont les ritournelles des rebelles établis à tous les échelons de la gouvernance, dont on calcule en douce les émoluments au fond d’un crâne venimeux — mais… Pas un mot ! … comme le répétait Clappique, le sympathique mythomane de La Condition Humaine[3]. La cuistrerie victimaire renforce l’absolutisme du marché. Autres temps, autres mœurs, mais restons anglomane, c’est si français !…

         Les défis lancés à l’absolutisme sous ses formes précédentes consistaient toujours à l’entraîner vers sa limite, son point de rupture, de Georges Bataille ou William Blake aux Sex Pistols, pour en citer quelques-uns, porter ses contradictions au rouge, mettre le système en surchauffe. Et il faut rendre justice à Malcolm McLaren, il nous avait bien fait rigoler en trouvant des moyens novateurs de vendre de la provocation, très loin des transgressions recommandées. Dans l’outrance manipulatrice, il n’était pas anglais par hasard. Rendons-lui justice une seconde fois, la tâche n’était pas facile même à son époque, l’art contemporain ayant fait de la provocation une lucrative industrie officielle depuis bientôt un siècle.
         Sur ces entrefaites — un mépris enraciné pour les immondices hors de prix défigurant le paysage définitivement sous prétexte de le déconstruire alors que c’est déjà un champ de ruines — j’ai rencontré Andreï Molodkine, artiste conceptuel russe jouissant d’une certaine cote. Il parlait au téléphone. On était dans le train pour la Belgique.
         —Si vous avez des secrets, allez sur la plate-forme, lui ai-je dit en m’asseyant. Je comprends votre langue.
         Il a éclaté d’un rire qu’on n’entend jamais à Beaubourg. J’allais encore devoir me livrer à des révisions déchirantes.
         Le premier projet qu’il m’a montré m’a fait grosse impression, essentiellement par ses dimensions colossales : Goverment down en lettres de trois tonnes de métal effondrées en fin de mot qu’on a pu voir récemment dans ces pages. Et, au contraire des concepteurs grassement payés qui font bosser des sans-papiers pour monter leurs élucubrations, ces vingt tonnes de fonte avaient été forgées par lui et son équipe, dans la fonderie qu’il possède avec d’autres au fond des Pyrénées. De l’art en bleu de chauffe. Jackson Pollock ou les constructivistes ? Les dimensions de son ironie politique la rendaient peu susceptible d’orner les collections de Bernard Arnault sauf s’il arrive enfin à acheter le Palais de Versailles en dépit de l’animateur télé, vous voyez qui je veux dire, celui qui organise des loteries culturelles et se fait faucher le fade au moment du partage. Ensuite, la photo des trois carabinieri (dont un officier) perplexes devant les vingt tonnes de métal exposées à Bari au musée d’art contemporain ajoutait un poids supplémentaire à cette ironie. Enfin, il ne s’étonnait pas de la précision de mes questions envieuses : qui avait raqué pour transporter toute cette ferraille au fond de l’Italie en convoi spécial ? Le musée bien sûr, m’a-t-il répondu en riant. Et là, respect, j’ai travaillé des décennies dans l’édition où pour se faire rembourser un taxi il faut expliquer pourquoi on n’a pas pris l’autobus. Il faisait peut-être partie des subventionnés de la provo, mais il avait du chou et de l’envergure. Je préfère que l’oseille parte là-dedans que dans les expéditions néocoloniales de l’OTAN.
         De son côté, l’artiste était aux aguets, il avait entendu parler de mes campagnes de Russie, de mon amitié avec Limonov et surtout, ce qui définissait son intérêt, de mon premier roman Fasciste[4] dont la conception dadaïste lui rappelait sa propre démarche.



         Ni une ni deux, il m’a invité au vernissage de son dernier projet Black Horizon, dans une des galeries d’art moderne les plus sélects de Londres. Lorsque j’en ai pris connaissance, heureusement que j’étais assis. Il collaborait avec des rappers du Sud de Londres,(Skengdo X AM & Drillminister) à Croydon, les cités d’urgence. Un certain nombre d’entre eux avait été condamnés à des peines de prison pour la violence des paroles de leurs morceaux. Alors, ils les interprétaient masqués. Le projet d’Andreï Molodkine était axé sur la liberté de parole, un sujet sensible chez les Russes de sa génération qui ont connu les soviets. Andreï, avec son équipe de la fonderie, composée de jeunes artistes français et russes, avait fabriqué des panneaux de verre — ou de plexiglass, comment le saurais-je — creusés des paroles les plus outrageuses des sauvageons des confins de la ville. Ce n’était pas tout : dans ces slogans sulfureux circulait du sang. Chaque participant à l’expo pouvait donner le sien à l’infirmière de l’équipe le recueillant dans les règles de l’art, pour le voir gicler dans l’installation.

La question sociale dans l'Angleterre à jamais post-thatchérienne:
         Il faut, ici, reprendre le contexte : les émeutes oubliées de l’été 2011 ont ravagé tout le Sud de Londres, le quartier de Lambeth en particulier, faisant rage pendant plusieurs jours et se propageant jusqu’à Manchester — la police restant impuissante. Les gangs d’adolescents déchaînés, présence dominante dans ces évènements, avaient agi comme un révélateur de la question sociale dans l’Angleterre à jamais post-thatchérienne. Le feu couve sous la cendre et devrait servir de signal d’alarme à toute l’Europe livrée aux privatiseurs. Depuis, le phénomène s’est aggravé. On a recensé à Londres 135 meurtres à l’arme blanche en 2018, parfois des règlements de comptes, mais parfois au hasard, gang initiation, comme on dit à New York. 2019 ne s’annonce pas sous de meilleurs auspices. Jusqu’où allait Andreï Molodkine, dans sa volonté de chauffer à blanc les contradictions du système ?… En termes français : quand est-ce que Beaubourg interdirait ses expos ?…
         Il commençait à m’amuser vraiment, alors j’ai mis le cap sur Londres.
         Le vernissage proprement dit ressemblait à une page de Renegade Boxing Club[5]. Les rappers étaient venus en force avec producteurs, cameramen, potes et petites amies. Jamaïcains, comme le trahissait leur accent chantant, leur vocabulaire de l’Empire Britannique, ayant traîné à Brixton autrefois, je m’en doutais, traducteur de Rasta Gang. De l’autre côté de cette foule mélangée, le Gotha du Londres russe, journalistes, éditeurs, demi-mondaines, bavards, bourrés de fric, ravis. Pour la première fois dans l’histoire de cette galerie chic du centre de Londres, on avait dressé une scène et monté une sono — nos rappers  psalmodiaient et dansaient sur scène. Joli, ai-je dit à Andreï. Pas donné à tout le monde. Il m’a raconté les sessions avec les Jamaïcains qui se pointaient avec leur rallonge pour déterminer qui au juste avait écrit les meilleures paroles, les plus dures. Se munissant d’une des seringues qui traînaient et qui effrayaient tout le monde, Andreï n’avait pas été pris à partie. Andreï, à l’époque de son service militaire, conduisait les camions de l’Armée Rouge pour transporter les missiles en Sibérie. De taille moyenne, mais costaud comme un Russe, il était toujours souriant. Il en avait vu d’autres.
         Décidément, quels que soient mes préjugés anti art moderne, je n’avais vraiment pas affaire à Jeff Koontz.
         Thierry Marignac, 2019.

        
        
        




[1] Penseur français post-structuraliste.
[2] Assassin britannique.
[3] Roman d’André Malraux.
[4] Mnémos, 2016, 3e édition.
[5] Roman de Thierry Marignac, Gallimard, 2009, l’action s’y déroule entre le ghetto noir de Jersey City et la diaspora russe de Manhattan.

4.6.19

White Spirit de Pierre-François Moreau

         White Spirit, de Pierre-François Moreau
         (Éditions La Manufacture de Livres, 281 P. 18,90 €)

         La première phrase du délirant manga littéraire de mon vieux copain est à enseigner dans les écoles pour sa concision et son efficacité, sa poésie mine de rien : La nuit lâchait prise.
         Le récit est situé d’emblée entre chien et loup. De même que l’étrange histoire d’amour se nouant entre deux personnages dont les points communs se réduisent sans doute à la lueur crépusculaire qui baigne leurs existences selon des paradigmes radicalement opposés. Si Bruce, le prince du fun-gore dans toute sa canaillerie affectée, voit les chiens de garde du numérique lancés à ses trousses gâcher sa villégiature au bord du lac Léman pour quelques assangismes révélant des vilenies d’État anglo-saxonnes périmées, le danger le plus menaçant, lui semble-t-il, est un effarant découvert de débauché post-moderne accro au mélange tequila MDMA. Vivant de plain-pied dans la réalité alternative du jeu vidéo dont il ne sait plus trop s’il les crée ou s’il les vit, chaque traquenard se dédouble dans une traduction virtuelle : le prochain scénario cauchemardesque qui lui permettra de calmer son banquier à grands renforts de copyright. Le dédoublement de perspective est à la démesure de ses vices… et de ses complexes d’Occidental entraîné dans un engrenage schizophrénique de professionnel du fantasme.
         À rebours, Gifty, la belle putain nigériane qu’il sauve presque par erreur de l’immolation lors de cette aube hallucinée, si broyée qu’elle soit par une machine effroyablement concrète de proxénétisme international, de migration forcée, d’épreuves qui contribuent à la briser, vit de son côté dans un univers vaudou dont les zombis la contraignent à se vendre au bord de la route, dans une Suisse au-dessus de tout soupçon. Car le chantage dont elle est victime est l’œuvre d’un envoûtement, au pays, qui a fauché sa famille et détient des otages. Lorsqu’apparaît le diable en carton-pâte, le prince noir du fun-gore, elle le prend pour l’ange blanc, envoyé par mamy-wata, pour lui épargner une mort atroce qu’elle a elle-même souhaitée.
         C’est de ce choc d’hallucinations parallèles que se nourrira leur dialogue de sourds au cours d’une lutte dantesque contre démons imaginaires, divers gorilles de la pègre nigériane… et figures troubles d’un entre-deux mondes cosmopolite de manipulateurs pleins aux as comme on n’en rencontre que dans la patrie des coffres-forts, du chocolat et des montres. Au cœur de cette dissonance cognitive finit par s’élever, au rythme de l’aventure, la petite musique d’une émotion mutuelle. Ce n’est pas la moindre performance de ce polar hors-cadre — une spécialité de La Manufacture de Livres. Car c’est grâce à la magie noire à plus d’un titre dont nos héros sont prisonniers qu’ils parviendront à survivre, leur seul langage commun.
         Ultime provocation, ou peut-être métaphore du roman lui-même, ils se seront à peine touchés.
         Thierry Marignac, 2019.

         

2.6.19

La Ville-Lumière a grillé comme une ampoule

Government down, installation de 20 tonnes de l'artiste contemporain Andreï Molodkine, Bari, Italie, 2017

                  Semione Piegov, correspondant de guerre, littérateur et poète, est venu à Paris il y a quelques semaines, avec Edward Limonov sur lequel lui et ses cameramen tournent un film documentaire. La ville lui a inspiré ce poème à la beauté énigmatique, traduit par TM :

         PROCESSION
         Van Gogh s’est endormi. De nouveau la guerre à Paris
         Un visage pâle à St-Germain, dur à trouver
         Les Arabes français ont grossi
         La ville, le samedi, est immobilisée.

         De partout des cosmonautes et des mouchards
         La Seine gémit, une cathédrale fume quelque part.
         Dans les écuries d’Augias, l’avoine est épuisée
         Tendus comme des câbles, les boulevards sont étirés.

         Que savons-nous des parallèles des Gaules ?
         Scandales de mécréants, de courtisans.
         Prisonnières, desséchées les Gaules
         De mesquineries tailladées, sang rutilant.

         Un canasson à dreadlocks, ayant fumé deux joints
         Et à Port-Royal, fumant aussi, un nain
         À l’accordéon Gauguin vont interpréter
         Et tout Paris est débranché.

         Mais dans la commotion involontaire les casqués
         Des doigts authentiques n’iront pas frapper
         L’hôtel de la rue Barbusse en somme
         Se referme sur ta gestalt comme un atome.

         À sa suite le Reichstag s’échauffant.
         Wilaya sur wilaya, crucifiant
         Entre deux hivers, s'endort dans son droguet sanglé,
          Un vieillard grisonnant, en taule, bouclé,

         Et là, des rats achevant le malheur sans issue,
         Dévoile les rêves et les cartes plus près de la nuit étale
         Et moisira, comme un lambeau de tissu —
         Du tricot d’un mouchoir habituel moyen-oriental.
         Semione Piegov, 2019.


ШЕСТВИЕ
Уснул Ван Гог. Опять война в Париже
Не сыщешь белых лиц на Сен-Жермене.
Французские арабы пожирнели
И по субботам город обездвижен.
Повсюду стукачи и космонавты -
Дымит собор какой-то, ноет Сена.
В конюшни Авгия истребовали сено,
Натянуты бульвары как канаты.
Что знаем мы о галльских параллелях?
Безбожие, придворные скандалы.
Безвольные и высохшие галлы -
Разрезанные пошлостью алеют.
Дредастый конь, скуривший пару точек,
И скурвившийся карлик в Порт-Рояле
Интерпретируют Гогена на рояле,
И весь Париж как будто обесточен.
Но в кутерьме безвольно шлемоватых
Доподлинные пальчики не бьются.
Гостинницей на улице Барбюса
Весь твой гештальт закроется как атом -
А вслед за ним затеплется рейхстаг.
Распнув за вилаятом вилаят,
Уснёт меж зим завёрнутый в халат
Седой старик, сидевший во "Крестах",
И там закончив беды тараканьи,
Раскроет сны и карты ближе к ночи
И будет тлеть, как будто ломтик ткани -
Арабских будней вязаный платочек.

Семён Пегов, 2019.
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