8.4.19

Piteuse déconfiture des accusations de "complot russe" orchestrées par les Démocrates et les médias euro-américains.

         Journaliste américain d'origine russe et israélite, Yasha Levine, est un des membres de la fraternité de feu le magazine eXile déjà publié dans ces pages : un article sur la façon dont CNN avait inversé le récit en quelques heures lors de la guerre de Géorgie en 2008, et un reportage au Donbass en 2014. Il est l’auteur du remarquable et très informé ouvrage Surveillance Valley : The Secret Military History of the Internet. Il revient ci-dessous sur une actualité récente : la piteuse déconfiture du RussiaGate Démocrate et ses conséquences dans l’avenir. Les médias de l'Hexagone, dont nous venons de signaler ici l'étrange silence dans l'affaire Integrity Initiative, puis le ridicule achevé et l'embarras dans l'affaire Battisti, ne s'étaient pas fait faute de relayer abondamment les infos bidons de CNN et du NYT — aura-t-on droit à des excuses cette fois encore, se souviendront-ils plus que leurs complices anglo-saxons que leur devoir est d'informer ?…  On en doute autant que Yasha pour les médias US. Nous conseillons aux lecteurs anglophones de s'inscrire à la lettre d'information de Yasha: Yasha Levine's Influence Ops


         Le RussiaGate ne fut pas un « échec » des médias, mais un succès
         Si on le considère d’un œil dépassionné — comme pour analyser la politique d’un pays lointain, un endroit comme feu la Russie des Romanov, disons, on se rend facilement compte à quel point le RussiaGate a été une réussite.
(Traduit de l'américain par TM)
 
                                  "Les Russes sont génétiquement programmés pour mentir et tricher" (Dessin de Yasha Levine)

         Pendant deux longues années, nos médias d’actualités ont avancé une théorie du complot obsessionnelle et xénophobe sur la collusion Russie-Trump.
         Jour après jour nous n’entendions quasiment rien d’autre que « collusion ». Que ce soit New York Times, Washington Post, Mother « Alex »Jones, Atlantic, NPR, MSNBC, ou CNN — nos médias présentait une façade complotiste unitaire. La théorie en question a même permis au Parti Démocrate de lever des fonds. Tout le monde avait la certitude absolue que « les Russes » étaient derrière l’accession de Trump à la présidence. Tout le monde était sûr que l’équipe de Robert Mueller allait émettre des accusations démontrant sans appel ce que tout les espions et personnes sérieuses pensaient vrai : des sbires haut placés de Trump, et Trump lui-même probablement, s’étaient livré à une conspiration avec une puissance hostile et avaient passés toutes sortes de marchés de haute trahison pour s’emparer du poste dirigeant le plus puissant du monde. Comment Trump aurait-il pu gagner sans l’aide d’une ténébreuse menace étrangère de l’Est ?
         Et puis toute cette savante construction s’est écroulée…

         À la suite de l'évaporation du RussiaGate, certains journalistes qui avaient couvert cette affaire avec un œil critique (et il n'y en avait qu'une poignée) se sont mis à espérer que cette catastrophe de proportions dantesques sur le plan journalistique servirait de leçon à ceux qui dirigent nos médias. Les journalistes allaient sans doute un peu oublier leur espionnite aigüe, la "menace russe" et se concentrer sur  les questions importantes qui font sentir leurs effets sur la vie des Américains.

         Eh bien, je ne partage pas cet optimisme.
         Comme je l’ai confié à Katie Halper qui écrivait un article pour FAIR, sur l’avenir du RussiaGate et du journalisme dans un monde post-Mueller, je ne vois pas l’obsession conspirationniste xénophobe de la Russie, comme un « échec » de la profession — en tout cas pas au sens où la plupart des gens entendent « échec ».
         Voici ce que je lui ai déclaré :
         L’obsession des médias américains sur la Menace Russe  — l’idée que la Russie est la menace la plus grave pesant sur la civilisation libérale —est antérieure à l’enquête de Mueller. Elle est antérieure à l’élection de 2016, et antérieure à Trump. Il ne s’agissait donc pas d’une « erreur » soudaine sur une enquête isolée, mais d’un processus à l’œuvre en Amérique depuis plus d’une décennie. La Menace Russe s’est révélée une opération lucrative — payant les crédits immobiliers et automobiles, l’éducation des enfants à des milliers d’experts, de sous-traitants de la Défense Nationale, de professeurs et de journalistes.
         Après Trump, l’hystérie antirusse a atteint des degrés inédits de paranoïa et de sectarisme. Il y avait une nécessité d’imputer la faute des troubles politiques domestiques américains, et l’échec de sa classe politique à quelqu’un ou quelque chose d'autre — pour esquiver la responsabilité de ce qui s’était passé. Alors tout à coup, les médias de centre-gauche se sont mis à voir « les Russes » dans tous les coins — un complot ténébreux visant à miner l’Amérique de l’intérieur.
         Ils ne menaçaient pas seulement l’Europe et l’OTAN. Ils étaient présents à la Maison Blanche, dans les bureaux de vote américains, dans les réseaux électriques, dans les dessins animés pour les enfants. Ils s’introduisaient dans l’esprit des citoyens. Ils contrôlaient à la fois la gauche et la droite internationale — contre le centrisme politique respectable. Voilà à quel point ils étaient sournois et dévoyés. À quel point ils désiraient détruire la démocratie libérale américaine.
         Le rapport Mueller nous permettra sans doute de jouir d’un répit bien mérité de ce délire de persécution pendant quelques semaines ou quelques mois, mais l’idée fixe de la Menace Russe ne disparaîtra pas pour autant. On voit déjà que le comportement douteux de Joe Biden à l’égard des femmes est attribué à un perfide complot russe pour aider l’élection de Bernie Sanders. À mesure que nous allons approcher des élections, ce genre d’allégations va revenir en force à la une.
         Présenter cette question comme un problème de média que nous pouvons résoudre et arranger dans l’avenir est trop optimiste, selon moi. Cela supposerait que les dirigeants politiques et ceux des médias en aient le désir. Que signifie résoudre cette question alors que le problème à arranger, c’est eux ? Pour la résoudre, il faudrait qu’ils admettent qu’ils avaient tort — pas seulement en ce qui concerne Mueller, mais aussi les décennies de politiques néolibérales en faillite menées en Amérique et dans le monde avec leur complicité. Pour le résoudre, l’élite politico-médiatique devrait s’auto-sacrifier volontairement. J’ai du mal à voir ça se profiler dans un futur proche.
         Si on prend de la distance et que l’on observe tout ça sans passion, comme pour analyser la politique d’un pays lointain, un endroit comme feu la Russie des Romanov on voit facilement que le RussiaGate est une réussite. Au lieu d’imputer Trump à une classe dominante dégénérée qui a présidé à un déclin national, une dégradation d’un niveau stupéfiant on a reporté le blâme sur un ennemi situé à l'étranger fabriqué de toutes pièces et indéchiffrable.
   C’est loin d’être une surprise, l’équipe de campagne d’Hillary avait prévu de faire porter le chapeau de sa défaite à la Russie dès le lendemain de l’élection (cf. les mémoires de campagne de Mamie Clinton).

         Le RussiaGate a fonctionné comme prévu, au moins à court terme. Il ne chassera pas Trump de son poste, mais cela n’a jamais été son véritable but.

Yasha Levine