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25.5.17

La "mobilité fessière" dans l'œuvre expressionniste de Placid, peintre contemporain

Après Pierre-François Moreau, auteur de « La Soif », dont nous avons parlé récemment, il me reste à présenter Daniel Mallerin, un de mes rares amis survivants, avec Édouard Limonov, sans lesquels votre serviteur ne serait sans doute pas ce « personnage un peu sulfureux, liés à des milieux très noirs (John Farris, le meilleur poète du Lower East Side ?… Réminiscence freudiennne chez la donzelle de la gauche macronisée — mais John Farris était café au lait !…), en rupture avec la société » comme devait me définir, inénarrable (Dieu sait que mes copains et copines en ont fait des gorges chaudes !…), une journaliste de Libération, le week-end dernier. Nous sommes amis avec Daniel Mallerin depuis une éternité, quatre décennies, depuis qu’il me convainquit d’écrire, plutôt que de me défoncer… Et publia mes premières nouvelles au Dernier Terrain Vague, dont la légende, même en notre époque sans vergogne —, dans l’oubli instantané du prochain Tweet  des vedettes, ou de la vermine politicienne — devrait atteindre des dimensions proches de celles de  Éric Losfeld.  Au DTV, tout était possible : du roman punk Sang Futur (Kriss Vilà,  DTV, 1977,  Moisson Rouge, 2007),  à la BD anarchisante Benoît Broutchoux, jusqu’à, plus tard, la collection Compact-Livres, où votre serviteur publia’9’79, fiction sur Ben Johnson,  le sprinter stéroïdé des JO de Séoul 1988 , la Roche Tarpeïenne si près du Capitole, sujet romanesque par excellence,  Hervé Prudon,  Sainte-Extase, son oraison aux esprits du temps, quand il était nègre pour Patrick Sabatier, et Bruce Benderson à l’époque où il vantait son lit comme Le pire Endroit de New-York ( DTV, 1996).

Daniel Mallerin, un frère pour moi — comme Limonov  et Moreau— a toujours eu un œil graphique, un regard perçant sur les artistes arts plastiques de son temps, notamment Placid, vieille connaissance lui aussi, dont le regard acide sur la quotidienneté parisienne au troisième millénaire lui a inspiré les lignes qui suivent, qu’ Antifixion est fier de publier : 

 L’IMAGISTE DE LA VIE MODERNE 
SCENES PITTORESQUES – L’EXPOSITION DES NOUVELLES PEINTURE DE PLACID  

Sur les territoires de l’oeil, on s’attend à quelque coup de théâtre - effet dépeignant du mot « pittoresque » - ; quelque chose de cocasse et de trivial. Avant même de s’y rendre, on sourit, on gamberge. 
Hameçon mordu, promesse tenue, on en prend plein la vue. 
Le sourire court dans l’air. On l’attrape par l’ellipse pour le traduire - devant le tribunal de la culture - par un titre plus explicite : « Tableaux pittoresques de la vie parisienne en 2017» ‘. 
Les curieux sauront. 
Toutes ces « choses vues » dans la rue et bien connues, où le déjà vu prend un air de jamais vu. 
Une théorie de tableaux tout chauds, trempés dans l’huile et cadrés façon « cinéma direct » (à l’épaule). A chacun sa composition minutieuse, accordée à la chose observée ; à chacun sa trivialité, ses scintillements de couleurs. 
Tohubohu de sensations, bombardement d’idées, jeu à prises multiples. 

   Pour exemple ce tout petit tableau planqué dans une toute petite niche soustraite au chahut : deux grosses paires de fesses jumelles en marche, bleues comme des oranges, moulées dans un djinn, galbe galvanisé par la proéminence plate du portable fiché dans la poche de derrière, que l’artiste a croquées mentalement puis rehaussée sur la toile avec les dards verts d’un soleil de Tati, un blouson acrylique à bas prix électrisant la mobilité fessière. 
Une petite clef pour gamberger dare-dare l’histoire de l’art puisque le pari de Placid correspond à la définition du pittoresque donnée par l’Académie en 1732 : une « composition dont le coup d'oeil fait un grand effet » (ici, un plan très serré). On sourit : rien de tape à l’oeil, seulement le « coup d’oeil » lui-même, son instant, que Placid nomme un «croisement ». 
   Le « grand effet » du coup d’oeil détermine la recomposition de la « chose vue ». 
   Une petite clef pour remonter le diable à ressort, la mécanique excitante des détails qui bombent et reluisent sous le pinceau à l’huile : l’empreinte du portable sur des fesses, ou dans la gestuelle des soliloques téléphoniques, et tant d’autres stigmates visuels des étendards standardisés – colifichets, piercings, tatouages, parures, coiffures, etc. jusqu’au design exhibitionniste des chaussures. 
Pièges à rétine, bijoux picturaux, éclats du désir - trouble du voir - clignotant dans le flux et le reflux des passants dans les rues, le rut (commercial) de Paris. 
Sensations familières enfouies dans l’inconscient des foules, telle le croisement de ces deux go parigottes ignorant Picasso :
Pimpante étrangeté, exotisme de proximité. On garde le sourire…

   Et cet autre exemple : « Harmonie en gris et bleu » :
Pour la facétie de la composition, la malice de l’observation ; pour l’enlacement du dessin à la peinture et ses effets imprévisibles - cette trouée bleue à la Magritte sur grisaille Haussmannienne - ; pour la syntaxe des apparences, le poudroiement des détails pittoresques, leurs correspondances loufoques. Pour la répétition du hasard objectif (vrai-faux) dans maintes autres variantes de paysage parisien - les jardins publics, les commerces, les bibliothèques, les bars, le métro, etc. – où les saillies furtives de la trivialité quotidienne sont restituées avec une sophistication d’orfèvre. Toutes ces « choses vues » bien connues, où le déjà vu prend un air de jamais vu. 
   Tableaux édifiants comme les lithographies des albums de voyage d’autrefois, pointilleux comme des reportages - sans machine, ni littérature – mais qui, par les sortilèges de la peinture à l’huile, la « reine des techniques », produisent des transports inattendus, voire inconnus dans le répertoire des émotions esthétiques. Une scène pittoresque dans un bar, une boulangerie, devient une « peinture de genre ». On pense un peu à Manet, hein ! Et aussi, glissant du réalisme au grotesque, aux déchaînements caricaturaux des comix underground. Ce culot, cette adresse à saisir le jargon anatomique, l’hystérie physionomique, la gestualité urbaine et la mobilité des apparences, tient sûrement de cette dernière école. Placid n’est jamais aussi fort que lorsqu’il fixe la théâtralité des postures ordinaires.    
Un pan de l’exposition est occupé par quelques grands fusains plus anciens, qui donnent la pleine mesure de son ivrognerie de virtuose. On gamberge, on sourit en comprenant ce que « forcer le trait » veut dire. 
   Télescopage abrupt, contorsions du style: cadre implosif, composition explosive, construction tendue, entrechoc des formes (molles, dures, rondes, tranchantes), réalisme scrupuleux (didactique), ivresse de précision et approche caricaturale. Une sensation d’ambiguïté. Mais laquelle ? Est-ce à cause de cet instant torve où les êtres immatures et sensibles s’adressent à leur boucher, ou à leur pharmacien, en espérant se fondre dans l’ordinaire ? Ou serait-ce en raison de l’instabilité même l’acte de dessiner le réel à partir d’une sensation furtive ? La fornication des formes dépassant les intentions, l’intimidation générant équivoque et distanciation.
   En retrouvant dans les nouvelles peintures de Placid ces mêmes et forcenés enjeux de style et d’observation sous une forme plus subreptice, on garde le sourire en gambergeant sur les variations de perception. 
   L’accent Picasso de l’expressionnisme de Placid devient caoutchouteux, la grammaire caricaturale se gondole. Quelque chose du dessin animé passe. L’ironie de Placid est palpable, c’est le bling-bling du pauvre. Quelque chose du dandy pointe dans le mélange des pinceaux et des crayons. L’artiste « 24 / 24 », comme on dit en Afrique, que tout et rien inspire, au plaisir d’étonner et la satisfaction orgueilleuse de ne jamais être étonné
   Est-ce cela la peinture à l’huile ? Affirmatif … comme éloge de la technique, patience de l’artisan ; comme vertu historique, respect de la tradition jusqu’à la sacralisation (pour régler la facture EDF). Mais enfin… quelle différence avec l’illustration ? 
   La Joconde du Bar Tabac ne serait-elle pas parfaite pour illustrer l’enquête, que tout le monde attend –, sur le mystère des amazones chinoises qui, partout, ont mis la main sur le négoce mortel ? Un rien d’Andy Wharol (avec un peu plus de boulot).
   Et dire que Placid travaille incognito comme graphiste dans la presse illustrée, qu’aucun directeur artistique n’accepte de le publier, que l’illustration est son graal - et Georges Beuville son prophète -, que la circulation à grand tirage de ses images est son obsession, que ses inscriptions perturbent les tenants du style lisse & glisse (le dessin de presse est de plus en asservi aux idées formatées). Bien-sûr, c’est pareil dans le monde la peinture, voire pire hypocrisie et quoi d’autre no comment puisque l’art tagada (institution & marché) se cultive hors sol, ignore Peter Saul. A quoi bon en tirer des conclusions vindicatives et tralala ? 
« Placid, c’est tout rond, on s’y sent bien », déclarait un enfant lors du vernissage de l’exposition et, en effet, il faut avoir un regard d’enfant pour descendre des cimes de la culture, ignorer la dictature des philistins et jouer le jeu de la rondeur, effet de la crudité et de l’extrême lisibilité des images - au-delà, en deça, du foisonnement des idées, formes et interprétations. On gamberge de tant sourire. 
Toutes ces « choses vues » bien connues, où le déjà vu prend un air de jamais vu. 
   Les séquelles d’un rêve, la révélation d’une notation inconsciente et fugitive. Des étonnements éprouvés, prétextes à pouffer. Pas le genre d’exposition qui se voit en 5 minutes. Il faut savoir prendre tout son temps pour apprécier son motif. C’est ce que j’ai moi-même fait en compagnie de Nadine Ballot, égérie du « cinéma-vérité » qui, en 1960, lançait aux passants parisiens son fameux « êtes-vous heureux »… Mon amie Nadine, éternelle enfant, passant au peigne fin les moindres détails et babillant des commentaires acides sur les figures actuelles de la « tribu parisienne », 
comme si nous étions dans une situation d’immersion semblable à celle d’une expérience « d’anthropologie partagée ». Une heure durant. Merveilleux hasard objectif, grand voile à soulever
   Ce n’est pas tout : un grand classeur contenant quelques oeuvres exécutées avec de toutes autres techniques et les derniers livres de Placid – J’y étais, Le jour et La nuit4 – ouvrent la boîte de Pandore. On sourit et gamberge en prenant conscience que cette exposition n’est qu’un tout petit maillon, une simple variante, d’un travail gigantesque d’observation entrepris depuis plus de dix ans, à raison d’une image par jour. Des milliers de cartes postales de Paris, et d'ailleurs, réalisées avec la même exigence formelle ou informative, avec ses défis de style sans cesse renouvelés, ses maladresses parfois (… il y a dans la vie triviale, dans la métamorphose journalière des choses extérieures, un mouvement rapide qui commande à l’artiste une égale vélocité d’exécution), et ses prouesses jubilatoires. Des milliers de « paysages pittoresques » représentant certains « aspects de la France », parfois ce que les sociologues appellent des « non-paysages, des lieux ordinaires comme la gendarmerie de Quarré-les-Tombes (Yonne), une gouache de 2011. 
   Un véritable roman d’aventures, une saga, dont l’objet est la saisie du temps - la modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art dont l’autre moitié est l’immuable. Aucun souffle n’agitait le drapeau de la gendarmerie ce jour-là… 
Les deux citations sont extraites du « Peintre de la vie moderne » de Charles Baudelaire qui vouait une passion idolâtre à un artiste qui refusait de signer ses oeuvres et même de considérer qu’il s’agissait d’art : Constantin Guys, le premier « reporter graphique » de l’histoire après les grottes de Lascault… Comment ne pas penser au beau texte de Baudelaire en étudiant les images de Placid ? La comparaison entre les deux oeuvres est à ce point édifiant que l’on est tenté d’appliquer au travail de Placid les commentaires et les spéculations esthétiques, philosophiques, de Baudelaire ou, encore, 
des frères Goncourt qui dressent ce portrait de l’artiste (en Protée) : ces originalités submergées et terribles, qui ne montent jamais à la surface des romans […] étrange, varié, divers, changeant de voix, et d’aspect, se multipliant et se renouvelant […] diffus, verbeux, débordant de parenthèses, zigzagant d’idée en idée, déraillé, perdu et se retrouvant […] et ce sont mille choses qu’il évoque ainsi, dans cette promenade de souvenirs […] des croquis, des souvenirs, des paysages, des tableaux, des profils, des aspects de rue, des carrefours, des trottoirs où claquent des savates de marcheuses… 
   En lisant l’essai de Baudelaire, en appliquant ses spéculations à l’oeuvre de Placid, en substituant son blase (une anti-signature) à celui de Constantin Guys et en remplaçant le terme« peintre » à celui « d’imagiste » en référence à l’école des « Imagistes de Chicago », on tient là comme une sorte de manifeste parfaitement d’actualité. « Imagiste de la vie moderne ». Non pas un titre de gloire inutile, mais un symbole de résistance (opiniâtre) face à la submersion et à l’asservissement des photos et vidéos. De quoi gamberger et sourire. Désabusé, mais pas complètement.

http://toutplacid.tumblr.com/search 

L’exposition dure jusqu’au 10 juin (fermeture ascension du 25 au 29 mai).
Galerie Corinne Bonnet
Cité artisanale, 63 rue Daguerre

75014 Paris