18.9.14

Du destin de "trois parfaits stylistes passés du côté obscur de la force"… (Figaro Littéraire, 18-09-2014)



À l'époque où il se moquait des prix littéraires, Jean-Marc Parisis avait eu la drôlerie de remarquer que la meilleure raison d'en vouloir aux fascistes, était de nous avoir infligé l'antifascisme, ce fourre-tout qui sert à tout le monde, de tous les bords, pour manifester sa vertu, ses qualités cardinales, dans un monde qui n'a plus rien à voir avec celui des années 1930, dans un monde où les menées les plus obscures du pouvoir planétaire se parent des masques de la "doctrine des bonnes intentions" selon la formule de Noam Chomski.
JMP avait commis un péché impardonnable avec un roman intitulé "La Mélancolie des fast-food" qui mettait en scène un militant FN, premier du genre, souffrant du défaut, malgré des prouesses stylistiques que j'envie encore et qui me faisait croire à une destinée inouïe pour ce prophète, d'être plus une déclaration d'intentions qu'une véritable histoire, un véritable roman.
Apparemment, JMP cherche la rédemption, et le prix littéraire (depuis qu'il en a eu un, il est accro) qu'il a loupé l'avant-dernière fois, avec un ouvrage journalistico-littéraire, sur des déportés de Fouilly-les-Bouses où il a, semble-t-il, grandi.

Pour sa part, Jérôme Leroy se jeta à corps perdu dans le mythe de "l'auteur engagé" et publia des romans, à mon sens trop référencés, et, parti d'un certain "hussardisme" éditions du Rocher 1990, qui me semblait provincial, forma l'ambition d'être une sorte de Roger Vaillant, qui aurait aimé Céline, mais peut-être cherché à le descendre aussi, rue Girardon. Je connais bien le quartier, Parisien tête de chien, le XVIIIe arrdt fut mon alma-mater. Alors, les provinciaux qui la ramènent, hein… Même quand je les aime bien, ce qui est le cas.
Jérôme ne s'attaqua au thème du militant d'extrême-droite qu'à la veille des élections 2012, faisant preuve d'une certaine habileté de minutage et de tempo, dans un roman intéressant (chroniqué dans nos colonnes) qui lui valut des éloges dans la presse de gauche, si l'on excepte les répugnances bien-pensantes de certains puristes Télérama. Il revient aujourd'hui à la SN, avec un roman, intéressant paraît-il (je ne l'ai pas encore lu), sur l'actualité de la Phrance, cette partouze, disait déjà Nimier, ajoutant que ça n'avait plus aucun intérêt. Sans doute pas mal, si JL accède à son meilleur style aérien, mais quand même trop TF1 à mon goût.

Quant à votre serviteur, damné dès l'origine par son premier roman "Fasciste" (Payot, 1988), et plus encore par son refus punk de se justifier, il n'est certes pas très diplomate, ni servi par des réseaux où il aurait fait de l'entrisme, ou encore des thèmes qui font l'unanimité (holocauste, oppression, compassion). Moins encore par un style difficile, où l'accent est mis sur le paradoxe et la violence du réel, comme je l'ai prouvé avec "Milieu hostile" (Éditions Baleine, 2011), où la complexité des enjeux ukrainiens était mise en lumière, me valant les épithètes "d'illisible","trop compliqué", etc, ce qui signifiait, en réalité, que dans le monde sacristain du polar, si on s'abstenait de l'enquêtisme en vigueur, du flic de gauche divorcé à états d'âme poursuivant la énième enquête bidon sur un meurtre convenu avec les indices obligés, on n'avait pas d'intrigue. 
Les évènements en cours en ce moment-même dans ce pays que je connais un peu, ont démontré le contraire de la propagande curieusement de gauche et OTAN simultanément (ou bien est-ce si surprenant ?…) et leur version puritaine de ce qui est en cours. En 2004, lors de la Révolution Orange, j'avais interviewé un magnat de la presse kiévoise pro OTAN, pro UE, pro guerre en Irak, propriétaire de journaux en Europe de l'Ouest, en Israël, aux USA ("Vint, le roman noir des drogues en Ukraine" livre-reportage sur la toxicomanie, Payot, 2006), pour apprendre à mon voyage suivant en Amérique qu'il était interdit d'entrée par le FBI, soupçonné d'un trafic d'armes vers les Talibans, en liaison avec la pègre russe. Les journalistes amis russo-américains qui m'avaient permis de le rencontrer riaient de ma naïveté stupéfaite: Thierry, c'est un homme d'affaires !…
Double, triple jeu, telle était en effet la règle, dans ce pays étrange, étranger. Dur à faire avaler au lecteur lambda.

Sébastien Lapaque du Figaro, chroniquant "Les fils de rien, les princes, les humiliés" de Stéphane Guibourgé, aujourd'hui même, parle de nous trois JMP, JL, et votre bien obligé, sous le label "parfaits stylistes". J'avais rédigé un compte-rendu de nos divers destins en 2007 sous le titre "Les stylistes". Un numéro du "Figaro Littéraire" où l'on parle du dernier nombrilisme danse du ventre de Carrière d'Encaustique, comme d'un "Livre-évènement", le bobo fils à sa mère poursuit son chemin, il est né dedans, ces nantis ne peuvent pas faire d'erreur. Que son style soit aussi passionnant qu'une visite au supermarché n'a aucune importance. Plus intéressant, la mention du premier roman de Bruno Deniel-Laurent, sur un garde du corps des Saoudiens dans nos murs.
Grâce soient rendues à Lapaque pour son soutien indéfectible. Je lui dois quelques tournées au Harry's bar, c'est bien le moins.

TM, septembre 2014.