5.7.14

La poésie du rail, chère à Vincent Deyveaux

Plan de la place des Trois Gares, Moscou.
Il y a peu, Deyveaux nous offrait un florilège des gares d'Extrême-Orient russe. Plus mesuré dans mes vagabondages, je ne pouvais que me perdre en conjectures sur l'ambiance de ces bâtiments du bout du monde, modestes ou impérieux. Je ne connaissais que la fièvre, le fourmillement de celles de Simféropol, Sébastopol, Kiev et Moscou, Odessa, et leurs ombres. Jamais je n'avais oublié le premier choc, Place des Trois Gares à Moscou, en 1999, fixé en quelques lignes, dans mon roman Fuyards (Rivages/noir) :
"Sous un vent chaud, chargé d'humidité, les façades hautaines des Trois Gares se toisaient dans le tumulte de la journée. Je trouvai mille fois le visage du tueur dans cette foule, dont neuf cent sur des épaves : grimace de mort, assassin ou victime, sous un linceul de crasse. (…)".
La poétesse Lioubov Molodenkova  dans son cycle des "Roses", s'attaque elle aussi, avec sa maestria habituelle, à ce thème éternel du lieu de départ et d'adieu. En hommage aux images muettes de Vincent, donc, ces vers de Gare Centrale :

La rose de coton
(Traduit par TM)
La rose de coton
Du foulard d’été
Les larmes de la sœur
La gare en ébullition
Les locos s’écrient en chœur
L’ivrogne à l’abreuvoir, bourré.

Gare de Nelidovo
Pleine à craquer
Ils sont tous thyroïdiens
Les couloirs envahis de populo
Les invalides font leur tintouin
Un nuage de poussière s’est élevé.

Quelques kopecks de cuivre
Jettent les gens pressés
Hurlement d’homme ivre
Sa compagne éméchée
Il tire dans la mêlée

Les roses jettent des feux nourris
Au foulard d’une femme,
Tristement célèbre, la dame
Elle est de mauvaise vie
Sur elle courent tous les bruits

S’ébranle, s’avance le train
Au-revoir ma parenté
Inutile de s’inquiéter
Pour moi, ne craignez rien
Entonnez les chants d’adieu
Sur la monture fidèle du preux

Les invalides, la chanson
Reprennent dans tous  les coins
Dans la gare Nelidovo
Les gens défilent en troupeaux
Pour les poivrots un affront,
Un saoulard hurle sans frein

La bonne femme s’est fait la paire
Laissé tomber son foulard
Sur les traverses crépusculaires
Une fleur écarlate du soir
Trébuchant, tombant sans filet
Au coup de sifflet

Le train louvoie
Parti de la troisième voie
La bonne femme valdingue
La loco haletante s’ébroue
Nombre d’entre vous chancèlent à toute berzingue
Seigneur pardonne-nous

Roses imprimées
De coton bon marché,
La sœur essuie ses larmes
Avec son foulard de charme
Les locomotives poussent leur cri d’alarme
Pardonne — et adieu
Pardonne— et adieu
Pardonne — et adieu
Pardonne — et adieu…
LIOUBOV MOLODENKOVA.



СИТЦЕВЫЕ РОЗЫ
Ситцевые розы
Летнего платка,
Сестрицыны слезы
И пьяный у лотка.

Станция Нелидово
«людями» обильна,
у всех узлы солидные
проходы забили
«гудят» инвалиды
в облаке пыли

медяшки на чекушку
бросает народ
в железную кружку,
пьяный орет
пьяную подружку
тащит в общий сброд.

Розы полыхают
У бабы на платке
У ней слава плохая
« слаба на передке»
Жизнь ее лихая
У всех на языке.

Идет-едет поезд,
прощай моя родня
не беспокойтесь
не бойтесь за меня
песню мне спойте
про верного коня

песню инвалиды
подхватывает вразброд
на станции Нелидово
гуляет народ.
Пьяному обидно,
Пьяный орет.

Баба убежала
сронила платок,
в сумерках на шпалах
багряный цветок,
споткнулась, упала,
кондуктора свисток.

Поезд отправляется
С третьего пути
Баба валяется,
Паровоз пыхтит,
Много вас шляется
Господи прости

Набивные розы
Дешевого ситца
Утирает слезы
Косинкой сестрица,
Кричат паровозы :
Прости – и простится
Прости – и простится
Прости – и простится…
ЛЮБОВЬ МОЛОДЕНКОВА.