15.7.13

Correspondance avec Moscou, Doubshine et Tchoudakov

Le poète ultralumpenprolétaire Tchoudakov en 1955 (Des Chansons pour les sirènes)


 Sur Antifixe, on s'occupe d'affaires de romanciers et de poètes, ça nous paraît une meilleure banderole que le lyrico-taratata des auteurs à messages, qui disent tant de bêtises solennelles (et commerciales) sur les affaires du monde et de l'actualité.
Notre ami Danila Doubschine, dont nous avions traduit une nouvelle ("Le Tueur a froid au cœur") aux éditions Dernier Terrain Vague/Exotic, il y a des lustres, est depuis devenu réalisateur de documentaires. Le revoyant en 2012 dans un bistrot de Moscou, nous avions évoqué Sergueï Tchoudakov, notre marotte. Le camarade Doubschine fut légèrement froissé, lui qui savait toujours tout sur tout, de n'en avoir jamais entendu parler. C'était mal le connaître que de croire qu'il allait en rester là. Son âme de collectionneur ne lui laissa point de répit dès qu'il eut découvert le génie que nous ne sommes pas les seuls à croire, chez Antifixe, qu'était cette mystérieuse figure, "Le Villon russe", selon l'expression en cours en Fédération Russe.  Doubschine est président de l'association des fans russes de Conan Doyle et de Schwarzenneger (Doubschine fait du body-building), tout de même. Nous lui dûmes de rencontrer l'éditeur de Tchoudakov. Et puis, récemment, Doubschine se lança dans la réalisation d'un documentaire sur le poète maudit. Il fouilla tous les dossiers, rencontra les témoins, et obtint des confidences de Limonov, qui, pour une fois ne débina pas un confrère : "Il ressemblait à James Dean, dans son manteau élimé". Doubschine nous fit aussi des reproches: on s'était gouré sur la date de naissance du poète, né en 1937 et non en 35.
En exclusivité pour Antifixe, les dernières découvertes de Doubschine, sa correspondance sur Tchoudakov, et l'annonce de son film.

(Traduction TM)


 --> Autobiographie
Moi, Serguéï Ivanovitch Tchoudakov, de nationalité russe suis né le 31 mai 1937 à Moscou. Mon père est parti trois ans plus tard à Kolyma, où il est fonctionnaire du parti, aujourd'hui encore.
 Nous avons été évacués ma mère et moi vers le village Bachkir de Daouletbaïevo, près de Tcheliabinsk. Nous y vivions en tant que réfugiés, ma mère fut désignée pour tenir les comptes. À la fin de l'année suivante, on nous a envoyé rejoindre mon père, dans le Nord. En attendant de pouvoir passer par bateau, nous avons vécu six mois à Nakhodka. Nous ne devions arriver à destination qu'au printemps 1943, errant cinq mois et quelques semaines dans les mines et les villages de la taïga.
En 1945, j'ai commencé à aller à l'école. J'ai sauté la troisième année d'études : ayant passé l'été à bûcher mes devoirs, on m'admit en quatrième année d'études directement après la seconde. En 1948 toute la famille fut expédiée sur le continent en congés. Après un séjour de deux ans à la capitale nous retournâmes à Maladane. Je terminai la septième année d'études avec le prix d'excellence. Je rejoignis les komsomols en novembre 1951. Une des recommandations que j’obtins pour entrer dans cette organisation fut celle des pionniers (scouts soviétiques), peu de temps auparavant on m'y avait choisi comme président du conseil des équipes scouts.
Nous ne nous installâmes définitivement à Moscou qu'au début 1952. C'est là que je devais faire mes huitièmes, neuvièmes et une moitié de la dixième année d'études à l'école N° 665. Je devins délégué de la classe et siégeais plus tard à au comité d'école. Je me pris de passion pour la chimie, la littérature, la mécanique auto. J'obtins les notes parmi les plus élevées.
En janvier de l'année dernière, je suis tombé malade, j'ai perdu deux mois, il m'a fallu quitter l'école, bien que j'ai poursuivi le travail au Komsomol, participant à l'édition de l'hebdomadaire satirique : «Radiocrocodile» (en tant que poète et feuilletoniste)
Il y a deux jours, j'ai passé les examens finaux d'externe à l'école N° 59. Ma décision de devenir littérateur est inébranlable.
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Tchoudakov



Автобиография

Я, Сергей Иванович Чудаков, русский, родился 31 мая 1937 года в Москве. Три года спустя отец мой уехал на Колыму, где состоит и до сих пор партийным работником. Осенью сорок первого нас с матерью эвакуировали в башкирскую деревню Даулетбаево, недалеко от Челябинска. Жили на положении беженцев, мать назначили счетоводом. В конце следующего года отправились к отцу на Север. Ожидая навигации, прожили шесть месяцев в Находке. До места добрались только весной 1943 года, пять с лишним месяцев скитались по приискам и таежным поселкам.
В 1945 году начал ходить в школу. В третьем классе не учился: позанимавшись летом с домашними, пошел сразу после второго в четвертый. В 1948 году мы всей семьей отправляемся в отпуск на материк. После двухлетнего пребывания в столице опять вернулись в Магадан. Семилетний курс кончил я с отличием. Ноябрь 1951 года ознаменован был для меня вступлением в комсомол. Одну из рекомендаций дала мне пионерская организация: незадолго до этого меня избрали председателем совета дружины.
Мы окончательно переехали в Москву только в начале пятьдесят второго года. Здесь проучился восьмой, девятый и первую половину десятого в школе № 665. Состоял членом бюро класса, позднее в школьном комитете. Увлекался химией, литературой, автоделом. Успевал с небольшими четверками.
В январе прошлого года заболел, провалялся два месяца, вынужден был оставить школу, однако комсомольской работы не бросил, принимал участие в выпуске сатирического еженедельника «Радиокрокодил» (поэт и фельетонист «на безрыбьи»).
Два дня назад закончил сдачу экзаменов экстерном при школе № 59.
Непоколебимо тверд в решении своем со временем стать литератором.
30/VI – 55
Чудаков


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Doubshine et un pote
«…Je t'envoie une vieille photo de Tchoudakov que je viens de découvrir. Sur ce cliché il a dix-huit ans, c'est en 1955. J'ai obtenu l'accès à son dossier dans les archives de la faculté d'état de Moscou. Il s'est inscrit pour des études de journalisme en 1955, et s'est fait virer en deuxième année parce qu'il a essayé de faire la révolution et obtenir que les «profs abrutis» (d'après lui) soient licenciés. Remarquable que l'homme qui ait ordonné de l'exclure soit signé par le doyen-adjoint Iassen Zakourski — en 1957. Ce Zakourski devint lui-même doyen par la suite, et l'était encore il y a deux ans, et il est à présent «président d'honneur de la faculté» — une carrière d'une durée incroyable !

Le 3 juin au ciné-club «Mart», j'ai projeté la première version de mon film sur Tchoudakov. Il y avait environ cent spectateurs, et avec Orlov (l'éditeur du recueil de poèmes de S.Tchoudakov), on a encore une heure et demie de film en réserve — et on m'a interrogé en profondeur sur Tchoudakov. Je lis à présent sur Internet que le film est «bouleversant» — bien que ce ne soit et de loin qu'une esquisse du véritable film…»

«…Посылаю тебе только что найденное мною новое-старое фото Чудакова. На снимке ему 18 лет, 1955 год. Я получил доступ к его профайлу из архива МГУ. Он поступил на факультет журналистики в 1955 году, и был отчислен со второго курса за то, что попытался устроить революцию и добиться увольнения "тупых преподователей" - по его мнению. Примечательно, что приказ об отчислении Чудакова подписан заместителем декана факультета по имени Ясен Засурский - в 1957 году. Так вот этот Засурский (кстати, неплохой человек), ставший впоследствии деканом, находился в этой должности еще два года назад, а сейчас числится "Почетным президентом факультета" - фантастически долгая карьера.

3 июня в киноклубе "Март" я показал first draft моего фильма про Чудакова. Зрителей было сто человек, и меня с Орловым еще полтора часа не отпускали - расспрашивали о Чудакове. Теперь в сети читаю про "потрясающий фильм" - хотя это был лишь очень приблизительный эскиз фильма…»