3.11.12

Une affaire personnelle




À Montréal, les établissements servant de l'alcool ferment leurs portes à trois heures du matin, la loi. Cette heure approchait, j'étais joliment éméché et tentais, sans grand succès, de convaincre une travelotte de bas fonds que j'étais poète dans le but de lui tripoter les cuisses. Thierry était à quelques places un peu plus loin au bar et sermonnait JF, mon libraire, parce que selon lui, la chanson de Métallica que je venais de faire passer dans le juke-box n'était qu'une merde commerciale. Jean-François, gesticulant des doigts et des baguettes comme lui seul sait le faire, tentait de défendre mon choix en lui racontant l'histoire du punk-rock au Québec et des liens unissant les premiers groupes métal aux punks québécois que nous avions été dans notre jeunesse.
Bien que barbouillé et occupé avec mon semblant de Ginette qui l'était aussi, barbouillée, mais à la budget de B-movie et n'avait rien à cirer de la poésie ou du métal et tenait mordicus, en piètre commerciale, elle, à se faire payer un verre en échange de ma main ou je tentais de la mettre, j'observais, l'air de rien et du coin de l'oeil, l'attendrissant échange entre mes deux compères.
C'était donc lui l'animal, l'auteur de Faciste et père de Dessaignes, le traducteur de Watson, de Thompson et des Basketball Diaries, le grand pote de Limonov, le dadaïste, cet intégriste punk à la mauvaise réputation et mal-aimé de l'intelligentsia bien-pensante des salons littéraires parisiens. 
C'était, il y en a quelques-unes, l'année de la parution de Renegade Boxing Club, il vivait alors en exil self imposé à Jersey City et il s'était donné la peine de se plier en quatre sur une banquette d'autobus Greyhound pour venir me visiter et me rencontrer en personne. Une semaine que je n'oublierai jamais, les débuts de notre amitié.
Des chansons pour les sirènes.
Son éditeur a eu la gentillesse de me le faire parvenir tout frais sorti des presses et je l'ai sous les yeux, le parcours et le repasse depuis une semaine et il m'est difficile de vous présenter ce recueil de poésie que Thierry Marignac vient de publier aux Éditions L'Écarlate de façon objective, comme n'importe quel ou comme juste un autre recueil-compil de poésie. Au départ, Thierry est un ami personnel, je connais son histoire et je sais depuis combien d'années il se bat et se démène pour mener à bien ce projet qui lui est cher. Je sais aussi à quel point l'homme tient pour importante, voire, porte en lui, incarne littéralement, la poésie de ces trois auteurs qu'il nous présente. 
"Vaille que vaille..."
Relisant ces poètes, Essenine, Tchoudakov et Medvedeva, c'est la voix de mon ami que j'entends, son blues, par eux, me parvenir. Cette sélection très personnelle de poèmes est accompagnée de textes de présentation de son cru et de ceux d'une grande amie à lui, Kira Sapguir, nous permettant de situer leurs créateurs, ce qu'ils ont été, mais aussi et surtout pour ce que leur oeuvre  est au coeur de celui qui, aujourd'hui en porte jusqu'à nous une partie, nous offrant de la traduire et ainsi, de la garder en vie.
Une oeuvre inclassable
Thierry Marignac est un vieux loup qui connait très bien son métier et qui ne se fait plus aucune illusion quant à la valeur de ce business de marchands de mots, le traducteur ainsi que l'écrivain l'a appris à la dure. Le connaissant et le sachant aussi pugiliste à certaines de ses heures, je n'oserais pas ici parler en son nom, mais vous rappellerai simplement que sur un ring comme dans la vie il arrive parfois que sous ce que nous croyons être une droite qui se dessine il nous explose parfois au visage de la gauche une vraie bonne leçon de savoir-vivre et à ce petit jeu, croyez-moi, mon ami pourrait en montrer à plusieurs. Qu'est ce que ce livre que j'ai entre les mains depuis une semaine et que je ne tente pas de vous décrire, un Marignac le traducteur ou un Marignac l'écrivain ? Une chose est certaine, mon ami, toujours en vie et debout malgré tout, grâce à ces chants pour les sirènes qu'il nous livre, vient encore une fois de laisser sa trace. 

Pat Caza, 2012

12 commentaires:

  1. Je viens de le lire et même si c'est difficile de parler de poésie, d'émotion, je vais essayer, malgré ces petits défauts techniques, il faut souligner le travail d'une poignée de passionnés pour permettre l'éclosion de ce recueil, ici en France, de textes d'auteurs russes disparus, qui ont été forts, même dans leur faiblesse tout en restant mystérieux.
    Ces quelques pages permettent de partager l'existence et l'histoire d'humains Russes à travers plusieurs époques et leurs voix résonnent encore…
    Le contraste des écrits des deux "pilotes" du navire Mémoire : Kira Sapguir et Thierry Marignac apportent leurs différentes lumières sur ces auteurs de l'ombre.
    Une beauté grave émane de ce livre, peut-être celle qui attira les voyageurs marins vers les bas-fonds ? Ils sont aussi à l'origine de la vie !

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  2. tu vois, Thierry, à moins que ce soit quelqu'un qui ne veut pas s'identifier parce qu'il ou elle aurait volé ton bouquin, t'en a vendu un
    et pis on en dit du bien
    alors là Cadillac

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  3. Merci Pat, une Cadillac vous seriez mon pilote chic de choc ? car je n'ai pas le permis.
    Une pensée personnelle aussi pour Carl Watson, auteur de génie, que vous citez, il essaye actuellement de survivre aux tempêtes et blizzards qui ont lieu dans le Nouveau monde, et j'espère qu'il y arrivera bien.
    Signé : l'anonyme qui ne veut pas de compte high-tech

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  4. Lu des critiques sensibles et intelligentes, mais pour les autres ceux qui veulent d'autres auteurs russes n'ont qu'à éditer leurs textes, comme dirait Jagger : You can alway's have what you want !
    anymousse

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  5. Quelle belle virulence !!! Mais c'est "you can't always get what you want". Excusez ma pédanterie ( mais correcte ). L'intérêt du choix que nous avons fait (je suis particulièrement coupable) c'est qu'il est total subjectif, donc arbitraire. Vous avez raison cher anonyme, les mécontents n'ont qu'à faire leur truc !
    C'est tout toi Pat, parler de Cadillac dans notre deux chevaux poussive…

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  6. C'était pour voir si vous suiviez et pour vous faire réagir monsieur le traducteur : enfin vous vous exprimez ! Allez faire un tour sur le blog de M. Nocher il dit que du bien de votre oeuvre.
    Allez je me calisse dans ma belle cadillac, salut vous autres,
    Signé : Johnny.

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  7. Un bel article, d'amitié sans être de complaisance, de Pat « bielle hurlante » Caza ! Je vais me procurer cet ouvrage, pour garder une trace éditée des traductions de Thierry, que je connais depuis son défunt avant-dernier blogue.
    Un jour, tout ce lent et patient travail sera reconnu.

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  8. Merci Patrick, et merci aussi du surnom novateur de Pat que j'adopte aussi sec, ça devrait lui plaire, lui qui bosse maintenant chez un ferrailleur, et passe toute la sainte journée, à soulever des blocs-moteurs, jouer de la scie électrique et j'en passe… en rêvant de Cadillac.
    Certes vous connaissez ces trades et mes essais sur ces poètes, mais sur papier, c'est différent, malgré les quelques coquilles que mes chers éditeurs ne me pardonnent pas de leur faire remarquer (je les comprends, ils ont fait beaucoup d'efforts).
    La reconnaissance, je commence à m'y faire, c'est ce qui compte le moins. L'important est de transmettre, et ce même d'une façon ultra-minoritaire.

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  9. précision technique
    une scie électrique ? nope, elle rendrait l'âme en quelques minutes
    Une Stihl TS460, une scie à métaux et à maçonnerie
    grosso modo l'équivalent d'une grosse scie à chaîne mais avec une lame-meule ronde au bout à la place
    12 kilo
    une lame de 35cm de diamètre
    un moteur à essence 2 temps de 72.4 centimètres cube (1,5x plus gros qu'une mobylette)
    5400 tours minutes la lame
    à opérer avec des bouchons dans les oreilles sinon c'est la surdité et les sons de cloches pour les deux jours suivants
    buzz garanti
    voilà

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  10. T'es qu'un frimeur d'amerlock, à rouler ta caisse avec ton gros matos, on le saura que ta scie c'est la plus gigantesque !!! Celle qui fait le plus de bruit !!!

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  11. Pour la route/one for the road : http://feusurlequartiergeneral.blogspot.fr/2012/12/le-traducteur-francais-prefere-les.html

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  12. &2 for the show : http://www.fauteusesdetrouble.fr/2012/12/dune-langue-lautre-entretien-avec-thierry-marignac/
    bonne soirée Pat l'épatant !

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