12.9.12

Frère d'armes post-soviet (Interview Kozlov 2e partie)

V. Kozlov, l'auteur de "Racailles" et "Retour à la case départ" (éditions Moisson Rouge)

"Certains Russes esthétisent n'importe quoi, les Européens s'en foutent, les jeunes Biélorusses se contentent de foutre le camp."

(Traduit du russe par TM)




Il y a quelques années est apparue une mode, l’esthétisation du passé soviétique, y compris des attributs des soviets « tardifs », mais dans vos livres, il émane de ces mêmes attributs une impression de perdition totale…

Bon, certaines personnes tentent d’esthétiser absolument n’importe quoi. D’autant plus, que cette mode a été lancée par la génération qui a grandi dans les années 80 à destination des consommateurs nés dans les années 90. Pour les uns, c’est de la nostalgie, pour les autres, un divertissement. La fin des soviets, c’était vraiment la zone ! Je l’ai vue dans son incarnation la plus typique, ayant grandi dans une ville industrielle de dimension moyenne, en Biélorussie. Je ne veux rien embellir dans le souvenir. Ceux qui n’ont pas connu ça en ont bien entendu une représentation différente. Je reçois assez souvent des lettres de jeunes gens : «Impossible que cette époque ait été aussi sombre, cruelle et désespérée que vous l'écrivez ?! ». Si, elle l’était.

« 1986 » est paru dans une collection intitulée « Romans russes pour l’Europe, deux de vos romans ont été publiés en France. Comment est-ce qu’on reçoit votre prose, là-bas ?

Avant tout comme quelque chose d’exotique, une réalité étrangère. «Racailles», c’est la cruauté des années 80. "Retour à la case départ" est également un portrait cruel de la Russie contemporaine, avec une intrigue criminelle, et des détails exotiques pour les Européens, telle la razzia des ressources par la pègre. Mais je n’en perds pas la tête pour autant et je ne nourris aucun espoir particulier, peu de chances que le lecteur occidental saisisse la réalité qui est la nôtre.

Existe-t-il là-bas un intérêt pour les auteurs russes contemporains ?

Pratiquement pas. Il existe un certain intérêt pour les auteurs à succès, qui vendent bien ici. Plus un marché de niche. En France, par exemple, on considère qu’un genre comme le roman policier doit être obligatoirement un genre traduit. Ils connaissent bien Akounine, par exemple, ses livres se vendent bien.

De l’Europe prospère, passons à votre Biélorussie natale. Y retournez-vous, et est-ce que vous y êtes lu ?

En m’installant à Moscou, j’ai brûlé à peu près tous les ponts, mais j’y retourne de temps en temps. Oui, on lit mes livres, là-bas… Si vous cherchez à savoir si mes livres posent des problèmes avec le pouvoir, je crois que non, ils s’en foutent. Dans une de mes nouvelles, on trouve même la phrase « Loukachenko, c’est de la merde ! », je ne crois même pas que les dirigeants le sachent. Quoi qu’il en soit, j’ai présenté mes livres dans une université d’État, et personne n’y a fait obstacle.

Vous voulez dire que ça ne va pas si mal ?

Apparemment, vu de l’extérieur, non. Les gens qui viennent de Moscou ont une impression « d’ordre ». Les rues sont propres, il y a de belles voitures, voilà ce qui saute aux yeux tout d’abord. Mais la réalité est assez triste, là-bas, à présent. Il y a eu une certaine croissance et un bien-être relatif là-bas, qui reposaient sur la faculté de Loukachenko à faire chanter l’Occident et jouer un jeu de dupes avec la Russie.  On a donc assisté à un certain « miracle économique biélorusse ». Il y a eu une énorme production de marchandises — fussent-elles de qualité « soviet », mais pas la pire. Le PIB augmentait. Mais peu après les élections de 2010 tout s’est effondré, le miracle a connu une fin rapide. Ils me semblent que les gens au pouvoir ici, n’ont pas fait très attention à ceux qui le sont là-bas. Il s’est passé beaucoup de choses en Biélorussie dans les années 1990, que j’ai revues pour la seconde fois ici, à Moscou. Sensation étrange. Je pense que la société biélorusse a conclu avec le pouvoir l’accord «On échange notre liberté contre de la saucisse » avant la société russe elle-même.

Vous avez certainement des rapports avec la jeunesse biélorusse. Ressent-elle le même besoin de changement que la jeunesse d’ici ?

D’après ce que je vois, nous sommes aujourd’hui entré là-bas dans une période d’apathie. Oui, il y a eu quelques étincelles après les élections présidentielles, et puis c’est retombé. Je ne vois aucun signe selon lequel les protestations moscovites pourraient rebondir là-bas. D’une façon générale, les gens et en particulier les jeunes préfèrent s’en aller — en Russie, en Lituanie, en Pologne. Il existe déjà dans ce pays une grosse diaspora biélorusse. J’ai bien peur que la situation en Biélorussie reste inchangée jusqu’aux prochaines élections. Je vois pas mal de gens qui n’aiment pas Loukachenko, mais qui votent pour lui. Il veulent la stabilité, et redoutent un cataclysme, parce que le système repose sur un seul homme…