13.8.12

Règlement de comptes

Article de presse rapportant la fusillade d'OK Corral.

Phrance : la sacristie des dégonflés.
         C’était un grand type, habillé genre aumônier en civil, le neutre déprimant kaki ou bleu facteur. Il avait tout du célibataire qui se néglige, mais au fond, peut-être que sa femme était une souillon. Je n’en savais rien, je n’avais jamais vu cette épave de ma vie. Il parlait fort, imbibé de vin rouge, il ne sentait pas bon, et avait cette sorte de foi maladive en sa propre parole qui trahit le raté. Son rythme forcené, son hystérie sous-jacente étaient censés forcer  le silence de ses interlocuteurs. Pourquoi ce gibier de presbytère avait-il besoin d’un public ? Sans doute pour s’écouter parler en se disant qu’il communiquait. Il avait cette insistance pathologique (et pénible) du militant ou de l’illuminé (c’est la même chose) qui ne cherche pas à argumenter mais à imposer son point de vue à tout prix.
         Pourquoi m’avait-il adressé la parole, ce zélateur de je ne sais quoi ? Je ne le savais pas non plus, beaucoup plus intéressé en cette soirée littéraire par une très ravissante admiratrice qui avait aussi acheté mon bouquin. Hélas, elle était partie, et l’aumônier en civil m’était tombé dessus, avec à ma grande surprise puisque c’était un inconnu, l’idée de me persuader de je ne sais quoi sur mon ami de trente ans, Edouard Limonov. La soirée était généreuse, il pouvait boire gratis.

Le raseur inextricable
         L’aumônier en civil n’en démordait pas. Il fallait qu’il me prouve que le livre de Carrère sur Limonov était un chef-d’œuvre. L’aumônier en civil se prévalait de son statut d’obscur fouille-merde dans un torche-fesse de droite ou deux, peut-être. Il m’avait tout l’air d’un con.
         À la signature suivante, j’avais résolu d’éviter l’importun. Las !… Il connaissait malheureusement d’autres amis à moi, et, en bon pique-assiette, s’installa à notre table de repas. Mes adroites manœuvres pour éviter l’importun s’étaient révélées inutiles. Il parlait haut, il parlait fort, il était « auteur » d’un livre d’entretien avec un bon théoricien de la Nouvelle Droite, c’était son titre de gloire. Il repartit sur son sujet Limonov en s’adressant à moi. Inextricable, ce raseur. Je ne peux pas piffer les militants, de quelque bord qu’ils soient : ce sont des châtrés, des histrions et des tartuffes. Comme la plupart de nos contemporains, ils cherchent une niche ou une église, des convictions qui leur assurent la tranquillité d’esprit du dévot et parfois aussi des revenus. Si je fréquentais ces soirées de droite, c’est en raison de l’ancienne tradition d’individualisme et d’un certain réalisme d’origine militaire sur les gens qui leur permettent en général d’être bien plus ouvert que la vermine gauchiste. Mais l’aumônier en civil, qui puait autant que la fois précédente et se servait dans l’assiette d’un des convives,  appartenait au nouveau style droite catho qui partage avec la vermine gauchiste une agaçante caractéristique : Ils ne connaissent rien, mais ils savent tout. Ce type n’avait jamais mis les pieds en Russie. Mais il était capable de dire que l’idée pougatchevienne qui sous-tend le livre « Mes Prisons » était condamnable. L’aumônier en civil était alors passé très près de pouvoir réaliser une cartographie de la porcelaine de l’établissement en très gros plan rapproché dans la gueule. Mais je décidai de payer et partir, quand les raseurs s’installent, autant rentrer chez soi. Quelque temps tard, j’appris qu’il faisait partie de la mouvance cul-béni Nouvelle Droite. En gros, ça signifie aussi taré que les néo-cons, mais avec un côté Maurras-Fénelon-Bernanos, Phrance, fille aînée de l’église, et avale-moi le catéchisme pour demain matin. Ils sont tous comme ça, il n’y a plus moyen d’en sortir, de l’extrême-droite à l’ultra-gauche, la pensée se fait par formules idéologiques, dans ce que Dominique de Roux appelait : « Le cours de la médiocrité au pouvoir ».
Victimes de OK Corral

         Malheureusement, je suis rancunier. Je déteste qu’on parle mal de mes ami(e)s, et je me fous éperdument de la politique, ce qu’absolument personne ne me pardonne. Si je m’en suis pris à DD la Dénonce, c’est parce qu’il avait été à l’origine de la campagne contre mon ami Limonov. Je me foutais bien de sa militance dans sa banlieue, de ses romans à thèse, de ses déblatérations d'indic de bas étage. Si je m’en suis pris à un certain groupe du polar et ses oukases avec « À mort Manchette », c’est que je n’aime pas les Bibles, et je suis fanatiquement pour l’indépendance de l’artiste. Mais dans une Phrance post-pétainiste à jamais, l’indépendance est mal vue. 

Ça tombait mal, je ne blairais pas plus ce curé de droite que les curés de gauche. Je n’aime pas les curés en général. Je crois au contraire à ce que Shelley appelait « La nécessité de l’athéisme ».  Je payais donc l’addition en prenant bien soin de ne rien laisser de mangeable ou de buvable à l’aumônier en civil. Plus tard, j’appris encore que médiocre avait été un des esclaves de feu cette crapule de Jean-Edern Hallier, très méprisable individu, que j’avais croisé moi aussi. L’aumônier en civil en disait beaucoup de bien. Au sujet de Limonov, à propos d’une des scènes du « Poète russe… », le premier roman d’Édouard, l’aumônier en civil répétait en boucle « Enculé par des nègres ! », sur le ton de la chaisière de sacristie, dont il est bien difficile de déterminer si elle est scandalisée ou envieuse. À ce moment, je me posai deux questions : l’aumônier en civil aurait-il duré plus d’un quart d’heure, là où Limonov avait passé deux ans et demi (prisons de Lefortovo et de Saratov) et je me demandais aussi combien de temps il aurait duré dans la cave de boxe de mon ami «Big » Steve Felton, chez les Noirs américains, un des rares endroits où, sous la brutalité apparente, j’avais découvert une extrême sophistication d’expression rôdée par toutes les feintes des rues, du ring et celles de la prison. Valait mieux qu’il continue à fréquenter l’église.
TM, août 2012.