16.8.12

Comment un gentilhomme prend congé du monde


         
                  Cyrano
Moi, c’est moralement que j’ai mes élégances,
Je ne m’attife pas ainsi qu’un freluquet
Mais je suis plus soigné si je suis moins coquet ;
Je ne sortirai pas avec, par négligence,
Un affront pas très bien lavé, la conscience
Jaune encor de sommeil dans le coin de son œil,
Un honneur chiffonné, des scrupules en deuil.
Mais je marche sans rien sur moi qui ne reluise
Empanaché d’indépendance et de franchise ;
Ce n’est pas une taille avantageuse, c’est
Mon âme que je cambre ainsi qu’en un corset,
Et tout couvert d’exploits qu’en rubans je m’attache,
Retroussant mon esprit ainsi qu’une moustache
Je fais, en traversant les groupes et les ronds
Sonner les vérités comme des éperons.

         Le Vicomte
Mais, monsieur…

Cyrano
Je n’ai pas de gants ?… La belle affaire !
Il m’en restait un seul… d‘une très vieille paire,
Lequel  m’était d’ailleurs fort importun :
Je l’ai laissé dans la figure de quelqu’un.

Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand.