27.3.12

Linguistique punk

Volodyia Moyceev du club Narcotiques Anonymes de Kiev au ciné, jouant son rôle favori, le voyou enchristé.

         SANS LIMITES (БЕСПРЕДЕЛ)
         Extrait du dictionnaire historico-étymologique, Русский жаргон (jargon russe), АСТ–ПРЕСС КНИГА 2008, Moscou.
(Traduit du russe par TM)
         Ce mot (Biesspredel, en transcription latine) est devenu de nos jours un symbole de l’époque post-perestroïka. Il caractérise une société absolument dépourvue de loi, de droit, et chaotique. Le mot  Biesspredel est entendu comme un terme nouveau « péjoratif » dans le « Dictionnaire de la pérestroïka », avec une définition générale de « quelque chose de négatif, n’ayant aucune limite ». Cependant, il est employé depuis les années soixante dans l’argot de la jeunesse (particulièrement chez les hippies, puis chez les punks) dans trois significations distinctes : « hors-la-loi », « démesuré », «présence massive d’une foule de jeunes ». Comme de nombreuses expressions de l’argot des jeunes, ce mot est originaire de la langue de la pègre, où il avait cours depuis les années 1940-50 et signifiait «groupe de criminels professionnels ne souscrivant pas aux  habitudes, traditions et lois du milieu ». Il est apparu dans l’argot à l’époque de « La guerre des salopes » opposant les criminels de profession orthodoxes et ceux qui voulaient adopter de nouvelles lois régissant le milieu (NDT — Cette guerre fit rage dans les camps dans les années 40-50, entre les voyous ayant accepté de servir dans les bataillons disciplinaires de l’armée de Staline contre les nazis en échange d’une remise de peine, et ceux qui s’en tenaient à l’antique règle Cour des Miracles : ne jamais servir l’état — et occasionna de nombreuses victimes) . 

         En argot, Biesspredel  désigne les sans-loi, mais pas dans l’acception juridique officielle violant le code pénal, mais comme ceux qui ne respectaient pas la loi non écrite — les normes de comportement de l’univers de la pègre. C’est ainsi que le mot  Biesspredel et ses dérivés existaient depuis longtemps dans le vocabulaire du milieu — Ancien « voleur selon la loi » (équivalent russe de la Cour des Miracles) n’obéissant plus aux normes de comportement des criminels de profession, voleur ne reconnaissant pas les lois du monde du vol, prisonnier refusant de se soumettre aux normes en vigueur dans les camps.  Cette catégorie de criminels se regroupait parfois en bandes  afin de s’opposer aux Voleurs selon la loi ou « salopes ».  Ce mot donna naissance à Biesspredelny lioudi (Les gens sans limites) ou « Hooligans », au verbe Biesspredelnitchat, signifiant « faire n’importe quoi, sortir des règles » et jusqu’à  Biesspredelnik, « collaborateur de la police criminelle ».
         Dans les années 1980-90, Biesspredel devint synonyme de " Criminel ordinaire, taulard", et ensuite de « Hors-la-loi de haut vol ». À présent, il a pris aussi le sens de « une quantité incroyable de quelque chose ». L’antonyme V predeliakh (transcription latine) s’applique à un criminel emprisonné ayant une autorité de caïd au sein de son groupe.
         Dans un sens général, non spécialisé dans l’argot de la pègre, le mot Biesspredel s’emploie seulement dans les publications de l’époque de la pérestroïka. V. B. Bykov l’a immortalisé dans un numéro du journal Soverchenno Sekretno (Classé ultra-confidentiel en transcription latine) :
« C'était en réalité Kalinine qui dirigeait le Khozou MVD de l'URSS sous Chelokov (transcription latine de la Direction générale des propriétés du ministère de l’Intérieur), selon l’opinion de nombreux de ses collègues, victimes du Biesspredel (sans limites) de l’époque d’Andropov ». Il s’agit là d’un des premiers usages officialisés de ce mot. Et, comme nous le constatons elle est ornée des couleurs « camp de concentration » qui ont facilité intensivement l’argotisation de la langue russe. La plupart du temps le contexte dans lequel ce mot est employé acquiert un sens négatif dans les conditions de crise post pérestroïka, conservant ses liens avec les réalités des camps (…). 

         De tous ses dérivés, le plus actif semble être l’expression  Polnyi Biesspredel qui signifie « le chaos, l’absence totale de loi et de droit dans la société », devenu l’appellation distinctive d’une période de l’histoire de la Russie.