7.7.11

Tu n'as rien vu à Fukushima

Publicité de la Belle Époque




CE MONDE SIMPLISTE…



DE SERGUEÏ TCHOUDAKOV
(Traduit par TM)




Ce monde simpliste atrocement condamné débordant
Comme un crachat sur cent éclaboussures, je m’y suis fracassé
Foule épaisse amassée entourant mes semblables, maudissant
Le triomphe avait lieu des fourmis insensées
Dieu n’existe pas, sans lui nul n’a conçu de prothèse
Pour, au cadre gentleman, river cette vermine balaise,
Mais un savant surdoué saisit une boîte de fer, de zinc,
Pour y cloquer une tranche d’uranium 235.
© Sergueï Tchoudakov, 1972.
Seule photo connue de Sergueï Tchoudakov, trouvée par hasard, par la police soviet, sur une fausse carte.


Етот мир простой и страшный обречённо обтекая
Как плевок на сотню брызгов я разбился об него
А вокруг толпа сгустилась мне подобных обрекая
Муравьиного безумья состоялось торжество
Бога нет и вместо бога не придумали протеза
Чтобы в рамках джентелменских это быдло удержать
Но учёный с пятым пунктом взял контейнер из железа
И вложил кусок урана маркой 235
© Сергей Чудаков, 1972.

5.7.11

Vénéneuses floraisons des femmes

Medvedeva en train de rouler sa caisse

            UN CRIME INUTILE, CERTES, MAIS PARFAIT
         La force bouleversante de déséquilibre émanant de Natalia Medvedeva aurait dû me convaincre qu’en elle, sous des dehors de paumée, se masquait un artiste éblouissant. Mais ses romans étaient mauvais, exagérant les travers de Limonov avec qui elle vivait, le goût du scandale poussé parfois jusqu’au ridicule, sans en avoir les qualités — la simplicité déconcertante, la lucidité implacable.  Le rock’n’roll de Natacha dans sa période parisienne — servi de façon unique par son coffre Jéricho à fracasser les fenêtres — était composé par des musiciens qui n’avaient pas évolué depuis le tout début des années 1980, et sonnait terriblement New-Wave. Or, lorsque le groupe se constitua, vers 1988, l’époque avait changé.
Toutefois, j’aurais dû avoir confiance en sa voix.
Medvedeva fille de la Sainte Russie


NOUER LES TRIPES
Dans mon esprit, s’il y avait à l’époque une preuve indubitable que le talent avait cueilli Natacha au berceau, elle résidait en effet dans cette basse profonde qui nouait les tripes pour des raisons élémentaires. Ça mordait n’importe qui au ventre, même quand elle entonnait au débotté de vieilles rengaines éculées, genre, Le Temps du Muguet — elle adorait ça. En prime, ça exaspérait Limonov, contraint de subir le folklore toute la journée .
J’exagère, il y avait aussi sa grâce native, perturbée, son élégance de jolie fille, et la douceur brusque, inattendue, a contrario des femmes russes, assez bourrues d’ordinaire  — chez elle plus impromptue encore, plus céleste. Beaucoup d’indices, finalement, que pour déchiré qu’il soit chez elle, le sens du beau ordonnait en coulisses l’honneur, le charme, en un mot l’essence de Natacha.
La cruauté ordinaire du destin des exilés devait bâillonner, pour l’essentiel, cette voix jusqu’à la rendre inaudible, si l’on excepte un certain culte — à présent teinté de goût du rétro 1980-1990 —assez fervent chez certains proches de la mouvance nationale-bolchevique en Russie, pour celle qui se faisait appeler : La Chanteuse des Nuits.
Je me souviens du bistrot de République où elle me donna son recueil de poèmes en 1997, en riant de mon russe encore balbutiant.  Elle était apprentie popstar en Russie à l’époque, quelques disques plutôt réussis dont l’admirable  Tribounal, qui signifie en russe cour martiale, dont elle avait écrit les chansons, frappantes par un lyrisme qu’elle ne déployait dans mon souvenir qu’à de rares instants d’oubli — quand elle s’abandonnait enfin au spleen sans fard, celui de la fille sans père de Leningrad, ballottée par l’Histoire. Elle exploitait enfin — il était temps, selon moi — sa légende au fond cruelle, gamine russe trop belle, trop marle pour son lot d’esclave, exilée déchue de la nationalité soviet mannequin aux Etats-Unis, en vogue dans les milieux du rock pour une saison sur la Côte Est, avant de changer de rive pour aboutir dans des beuglants russes de LA — sur le point d’être recrutée par le porno quand elle avait rencontré Limonov et mis le cap sur Paris. Talk about pressure, disent les Anglos à présent totalement castrés comme chacun sait, sur ce genre de mode de vie inaccessibles aux calvinistes. Pour elle, c’était ça, le rock’n’roll.
Medevedeva grillant une tige


SON ET LUMIÈRE DU CAVEAU
Le sort qu’elle me jeta en me faisant — à travers ses récits d’enfance soviet péterbourgeoise — le sosie de son frère de sang alcoolique (Comme si j’avais besoin de ça !…) me poussa sans doute à jeter un œil sur sa poésie, par un jour désœuvré, plusieurs années après sa mort. Tous les Russes sont poètes, et l’écrasante majorité des poètes est constituée de casse-burnes à expédier au goulag régime sévère pour les empêcher d’écrire, toutes nationalités confondues.
Mais, en lisant les vers de Natacha, je retrouvais sa voix. Mieux encore, amie disparue, j’en discernais l’origine, le lieu dont elle n’avait jamais pu s’exiler malgré toutes ses tentatives, la recherche éperdue de celui, digne de sa flamme, qui lui adoucirait un monde si rêche — elle était prête à tout donner en échange au Prince Noir.
Plus nettement encore dans l’éclairage posthume, la disposition des chrysanthèmes, le gentleman traducteur, sale type, trois quart vampire, un quart mécène — malgré tout plus généreux que la plupart de ses contemporains —  n’a qu’un seul mérite dans son labeur de sans grade : sa capacité à remarquer la singularité.  Et c’est sa gloire, bien au-delà des génuflexions fugitives que telle ou telle vedette des médias ou de l’édition tient brusquement à lui accorder à tel ou tel moment, pour se mirer dans une bonne conscience de pacotille : pseudo-reconnaissance du travail. Tous des chacals, c’est bien ce qui perturbait Natacha, obsédée par l’idéal que sa voix portait aux meilleurs instants. Et la charogne elle-même pue nettement moins que les charognards.
En traduisant les poèmes de Medvedeva, l’unique note étranglée  m'a crevé les tympans. Trop femme pour faire la femme, trop proche de l’abîme pour le simuler.
Notre histoire post-moderne étant ce qu’elle est, Natalia Medvedeva n’y survécut point. Laissant derrière elle et trop tard des éclairs d’intensité comme on n’en rencontre pas souvent, dites.
Le titre du recueil dont sont extraits les poèmes traduits à ce jour annonce la couleur : Je flotte comme une Bannière.
TM, JUILLET 2011.