10.6.11

Gentleman traducteur, suite


L’INCONNU DU DEUXIÈME BATAILLON
J’écoute depuis un certain temps une chanson de Vissotski que je ne traduirai jamais, tu parles, galvaudé à mort, kyrielles d’ayants droit toutes griffes dehors, chasse gardée par radar et retraités des forces spéciales, vingt-deux les avocats-pitbull sur trois continents —je ne suis pas entièrement sûr du titre. C’est une histoire — classique dans son genre — de Deuxième Guerre mondiale, intitulée je crois « La patrouille de reconnaissance ». Le narrateur, une fois n’est pas coutume, c’est le sergent qui conduit le peloton. Se portent volontaires, ce matin-là, Borissov et Simonov, comme d’habitude, et puis… ce fameux mec du deuxième bataillon. Le juteux l’a déjà vu, sans doute jugé à l’emporte-pièce, mais jamais éprouvé au feu. La voix du barde se charge de dédain.

VACHE ENRAGÉE
Alors voilà la patrouille au baroud, au beau milieu du casse-pipes, en pleine vache enragée. Les soldats accomplissent leur mission, mais — manque de bol — le juteux, Borissov, Simonov, et l’autre mec-là, du bataillon d’à côté, tombent sur un détachement de Fritz en maraude. Ça se met à charcler dans tous les sens, il pleut du plomb, notre juteux sait bien que Borissov et Simonov arrosent à la PPK sans mollir comme d’habitude, mais putain, l’autre mec-là — du deuxième bataillon — est d’une valeur exceptionnelle. Bordel, sans lui, on serait déjà mort — volontaire inespéré. La voix du barde est stupéfaite.

FIL PIÉGÉ
Dans la confusion, chacun pour sa peau, grêle d’acier, éclats de grenade, la vie ne tient qu’à un fil piégé — le juteux rejoint en rampant les retranchements de la troupe. Le lendemain, à l’appel, il cherche en vain Borissov, Simonov, et ce fameux mec… nettoyeur du deuxième bataillon… dont le juteux ne saura jamais le nom. Le timbre du barde est sans appel.
La chanson, relativement banale chez les soviets, est hantée par cette ombre, tour à tour souci et surprise — prouesse de laconisme.
Voilà ce qui me vient à l’esprit quand on me parle de style, cette tarte à la crème tournée, prometteuse de salmonellose.
J’aime l’art, je n’en fais pas mystère, c'est bien ce qu'on me reproche, quand ça cogne sous le bon angle d’attaque, celui qu’on n’attend pas — l’inconnu du deuxième bataillon.
Que le héros soit fondu dans l’histoire.
Que le héros soit fondu.

Thierry Marignac, juin 2011.